L’Autorité de la Chose Jugée entre le Pénal et le Fiscal : Évolution et Confirmation de Principe par la Cour de Cassation dans un arrêt de principe du 12 mars 2025 n°23-12.253

1. Le Principe de l’Autorité de la Chose Jugée au Pénal en Matière Fiscale

L’autorité absolue de la chose jugée en matière pénale connaît une application spécifique dans le cadre du contentieux fiscal, en raison de la dualité des ordres juridictionnels. Traditionnellement, le juge administratif ne reconnaît pas de force obligatoire aux motifs d’une relaxe au bénéfice du doute, contrairement au juge judiciaire, qui considère qu’un fait écarté par la juridiction pénale ne peut plus être retenu dans un contentieux fiscal.

Cette divergence a longtemps permis des situations paradoxales où un contribuable pouvait être relaxé au pénal mais voir ses impositions maintenues par le juge administratif. Toutefois, cette situation a évolué sous l’impulsion de la jurisprudence judiciaire et des exigences de cohérence juridique.

2. La Conception de l’Autorité de la Chose Jugée par le Juge Administratif

Historiquement, le Conseil d’État a adopté une position restrictive quant à l’autorité des décisions pénales. Si un jugement pénal établit un fait de manière certaine, celui-ci s’impose aux juridictions administratives. En revanche, lorsque le juge pénal se borne à constater une insuffisance de preuve ou un doute, l’administration fiscale et le juge administratif ont traditionnellement estimé qu’ils pouvaient procéder à leur propre appréciation des faits.

Cette position s’inscrit dans une conception stricte de la séparation des pouvoirs, où l’administration fiscale dispose d’une autonomie dans l’établissement de l’assiette de l’impôt, indépendamment des décisions pénales. Elle permettait notamment de sanctionner fiscalement des faits même lorsque leur imputabilité pénale n’était pas démontrée avec certitude.

3. La Position des Juridictions Judiciaires : Une Autorité Absolue

À l’inverse, le juge judiciaire applique le principe fondamental selon lequel une décision pénale s’impose aux autres juridictions, qu’elle établisse ou exclue l’existence d’un fait. La Cour de cassation, depuis l’arrêt Quertier du 7 mars 1855, affirme qu’un fait écarté par le juge pénal ne peut être retenu par le juge civil ou fiscal.

Dès lors, une relaxe, y compris prononcée au bénéfice du doute, interdit de considérer comme établi un fait que le juge pénal a estimé non prouvé. Cette position s’appuie sur la présomption d’innocence, qui interdit toute réévaluation postérieure d’un fait jugé en faveur du contribuable.

4. La Reconnaissance par le Conseil Constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a renforcé cette approche en décidant qu’un contribuable ne peut être condamné pour fraude fiscale après avoir été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle définitive. Par une série de décisions rendues en 2016, il a imposé une cohérence entre les décisions fiscales et pénales.

5. L’Arrêt de la Cour de Cassation du 12 Mars 2025 : Confirmation Déterminante

L’arrêt du 12 mars 2025 est venu confirmer de manière explicite cette évolution jurisprudentielle en consacrant l’autorité de la chose jugée au pénal sur le contentieux fiscal, même en cas de relaxe au bénéfice du doute.

Dans cette affaire, M. et Mme J avaient été poursuivis pour fraude fiscale en raison d’avoirs supposément dissimulés à l’étranger. Le tribunal correctionnel les avait relaxés, considérant que leur titularité des comptes en Suisse ne pouvait être établie avec certitude. L’administration fiscale, néanmoins, avait maintenu les redressements en se fondant sur les éléments issus du dossier pénal.

Saisi du litige, le tribunal judiciaire a prononcé la décharge des impositions en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à la relaxe pénale. La cour d’appel, cependant, a infirmé ce jugement en considérant que l’administration fiscale pouvait établir la preuve de la détention des comptes par d’autres moyens.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt, réaffirmant que le juge fiscal ne peut retenir un fait que le juge pénal a expressément écarté, même en raison d’un doute. Elle a ainsi consacré une interprétation stricte de l’autorité de la chose jugée, interdisant toute réévaluation des faits par l’administration fiscale après une relaxe définitive.

6. Portée et Conséquences

Cet arrêt marque une étape décisive en ce qu’il :

  • Confirme l’autorité de la chose jugée au pénal sur le contentieux fiscal, indépendamment du degré de certitude exprimé par le juge pénal.
  • Protège les contribuables contre une double sanction en assurant que des faits écartés au pénal ne puissent donner lieu à des redressements fiscaux.
  • Toutefois, la divergence entre les juges administratifs et judiciaires perdure. Un contribuable peut donc se retrouver désormais relaxé au plan pénal, mais si la relaxe est prononcé au bénéfice du doute, déchargé de l'impôt par le juge judiciaire mais les redressements d'impot confirmé par le juge administratif. A noter que nous avons engagé un contentieux devant la Cour Européenne des droits de l'homme afin d'aligner la jurisprudence du juge administatif sur le juge judiciaire.

Le cabinet Chandellier Corbel est un cabinet d'avocats fiscalistes à Paris, spécialisé dans le droit fiscal des entreprises et particuliers.

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