L’autorité de la chose jugée au pénal sur le fiscal renforcée par la Cour de cassation : quel impact en contentieux fiscal ? Cass. Com., 12 mars 2025, n° 139 F-B

 🔍 Résumé

L’articulation entre le contentieux pénal et fiscal soulève une question cruciale : une relaxe au bénéfice du doute pour fraude fiscale doit-elle s’imposer au juge de l’impôt ?

Alors que la Cour de cassation vient de consacrer l’autorité de la chose jugée au pénal sur le contentieux fiscal, le Conseil d’État adopte une position inverse : une relaxe exprimerait un doute, sans interdire à l’administration fiscale de qualifier les faits autrement.

Ce désaccord entre les deux ordres juridictionnels crée des contradictions potentielles dans l’analyse des mêmes faits. Il révèle la nécessité d’une réforme structurelle, voire d’une juridiction fiscale unique, et ouvre la voie à une intervention de la Cour européenne des droits de l’homme.


La décision du 12 mars 2025 de la chambre commerciale de la Cour de cassation, relative à l’exploitation des fichiers HSBC, relance un débat majeur : le juge fiscal peut-il maintenir un redressement après une relaxe pénale définitive fondée sur l’insuffisance de preuve ?

Dans cette affaire, le contribuable relaxé pénalement a pourtant été maintenu redevable fiscalement, illustrant la fracture entre juges judiciaires et administratifs.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 mars 2025, 23-12.253, Publié au bulletin


I. 🧑‍⚖️ Le juge judiciaire : une conception rigoureuse de l’autorité pénale

A. Un principe ancré dans la protection des libertés

Le juge judiciaire, protecteur des libertés individuelles (article 66 de la Constitution), applique strictement la règle in dubio pro reo. Il considère que le doute ayant conduit à la relaxe, fut-ce au bénéfice du doute, interdit toute autre appréciation pouvant remettre en cause l'innocence du justiciable.

La Cour de Cassation confirme donc ce principe ancien en matière fiscale.

📚 Référence :

B. Une logique constitutionnelle de cohérence

La Cour de cassation lie cette position à l’objectif de bonne administration de la justice reconnu par le Conseil constitutionnel. Le contentieux fiscal, par sa dimension répressive, ne peut ignorer une décision pénale définitive.

Les procédures pénales et fiscales sont aussi considérées par le Conseil Constitutionnel non pas comme des procédures autonomes mais complémentaires, obligeant donc les juridictions ayant à connaitre du dossier de tenir compte des décisions définitives qui ont été rendues.

Décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016

Décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016


II. 🏛️ Le juge administratif : une autonomie persistante

A. Une jurisprudence oscillante

Si un temps aligné sur le juge judiciaire (CE, Louradour, 1948), le Conseil d’État a depuis 1956 (Chomat) adopté une position autonome : la relaxe pénale ne lie pas le juge fiscal si elle est motivée par le doute.

Pour le juge administratif, une relaxe au bénéfice du doute n’exprimerait que le doute du juge répressif sur l’existence des faits. Le Conseil d'Etat ne reconnait donc pas dans cette situation l'innocence du justiciable comme une vérité judiciaire.

B. Des justifications pratiques

Le Conseil d’État invoque la spécificité de l’action administrative, des règles de preuve différentes, et l’objectif d’intérêt général, pour justifier que l’administration puisse maintenir un redressement fiscal malgré une relaxe.

C. Une position critiquée

Cette position :

  • Crée un risque de contradictions judiciaires ;

  • S’appuie sur une connaissance partielle du dossier par le juge administratif ;

  • Affaiblit les garanties procédurales en matière répressive.


III. ⚖️ Vers une unification par la CEDH ?

Un recours est actuellement pendant devant la Cour européenne des droits de l’homme (n° 2493/22). Il reproche à la France de violer :

A. 🛑 Le principe non bis in idem (article 4, Protocole 7)

La relaxe pénale étant définitive et la procédure fiscale répressive, la double sanction pour les mêmes faits constituerait une violation de la Convention.

B. ⚖️ Le droit à un procès équitable (article 6 §1)

L’absence de prise en compte d’une décision juridictionnelle définitive remet en cause la sécurité juridique.

C. 👨‍🦰 La présomption d’innocence (article 6 §2)

Une relaxe au bénéfice du doute empêche tout doute persistant de la part d’une autre juridiction. Le maintien d’un redressement fiscal viole cette garantie fondamentale.


✅ Conclusion

La jurisprudence divergente entre les juridictions judiciaire et administrative sape l’unité du droit fiscal et affaiblit la présomption d’innocence. Elle expose la France à de possibles condamnations européennes.

👉 Une réforme ambitieuse pourrait consister à :

  • Créer une juridiction unique compétente en matière fiscale et pénale,

  • Appliquer dans tous les contentieux les règles de preuve du droit pénal,

  • Garantir aux contribuables une sécurité juridique renforcée.

Le cabinet Chandellier Corbel est un cabinet d'avocats fiscalistes à Paris, spécialisé dans le droit fiscal des entreprises et particuliers.

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